PAROLES d'EXPERT : 3 QUESTIONS A...
Interview exclusive AEQUITAS & FIDES (06/2020)
Co-Fondatrices, LAPSS
La crise du COVID-19 fait courir à l’économie mondiale le plus grand danger qu’elle ait connu depuis la crise financière et elle entraîne de graves perturbations dans la vie des entreprises.
Certaines entreprises ont vécu des suspensions d’activité, totales ou partielles, et d’autres des pics d’activité comme la grande distribution et le secteur de l’informatique et, plus globalement, le e-commerce.
Les répercussions sont donc multiples et variées en fonction de l’ADN même de chaque entreprise.
Beaucoup d’entre elles se demandent si certaines conséquences auraient pu être évitées et, là encore, la réponse n’est pas figée et certainement pas catégorique. On répondra à cette question par d’autres : l’analyse du risque est-elle bien gérée dans mon entreprise ? Est-elle régulièrement actualisée ?
Même si l’on répond par l’affirmative, le risque de pandémie mondiale est presque systématiquement ignoré tant la probabilité qu’il survienne est faible. Toutefois, la crise du COVID-19 a mis au jour, dans les activités et chaînes d’approvisionnement des entreprises, des vulnérabilités majeures rappelant l’importance de la gestion du risque et des plans de continuité associés.
Pour rappel, la gestion du risque doit :
D’après le cabinet KUY Associés, beaucoup d’entreprises manquent clairement de visibilité sur leur Supply Chain et les raisons peuvent être multiples.
Beaucoup d’entre elles considèrent que cette crise n’est que la première et que d’autres surviendront. Il paraît donc impensable de ne pas tirer humblement les leçons de celle que nous traversons.
Face aux incertitudes liées à cette pandémie et à la menace d’une deuxième vague, l’enjeu pour les entreprises est encore et toujours d’en limiter les impacts. Les mieux préparées ont activé leur dispositif de gestion de crise et de continuité d’activité. Les autres doivent faire preuve d’agilité et apprendre en marchant pour accroître leur résilience et améliorer leur viabilité à court terme, mais aussi leurs perspectives de reprise à moyen terme.
Du point de vue des approvisionnements, les Supply Chain internationales ou très étendues ont été immédiatement impactées par l’arrêt des usines en Chine, qu’il s’agisse de productions délocalisées ou de dépendance avec une proportion importante de composants délocalisés.
C’est particulièrement vrai dans l’industrie pharmaceutique, qui a notamment dû faire face à la pénurie de masques.
Même après le redémarrage des usines en Chine, l’approvisionnement a continué d’être complexe, compte tenu des capacités très affaiblies des moyens de transport disponibles et du ralentissement de l’activité toujours existante dans les ports et aéroports européens.
A l’exception des ponts aériens mis en œuvre pour les produits d’urgence sanitaire, toutes les industries ont souffert de pénuries de matières ou de production.
Ces problèmes d’approvisionnement sont indissociables des questions inhérentes à la gestion de stock, dont le prisme économique doit être associé au risque de pénurie dans la prise de décision à l’avenir.
Depuis quelques années, la gestion en flux tendu est devenue le standard. Si la situation devient aujourd’hui une réalité, elle révèle la nécessité de bénéficier d’une vue complète de l’inventaire disponible chez les fournisseurs pour être en capacité de répondre à la demande dans des situations exceptionnelles.
En cascade, cet impératif rappelle l’importance de manager la relation fournisseur et d’identifier ses fournisseurs stratégiques pour entrer dans une logique de partenariats car les risques de défaillance à ce niveau font aussi partie de la donne.
S’il est encore tôt pour faire un bilan, il est malheureusement fort probable que certaines entreprises, fournisseurs de rang 1, 2 et 3, auront du mal à survivre aux évènements qui continuent à éprouver le système : pour exemple, les équipementiers du secteur aéronautique en grosses difficultés aujourd’hui.
Côté production, les entreprises font face à des impacts à la fois sur leur marché de consommation et sur leurs capacités de production. Leur capacité à répondre ou à s’adapter à la demande client n’a, semble-t-il, pas été suffisamment éprouvée. La connexion entre le plan marketing de développement et de commercialisation des nouveaux produits ou des produits en fin de vie doit permettre de prioriser dans des situations extrêmement tendues. Le plan industriel doit donc être connecté à la stratégie commerciale pour anticiper et adapter en permanence les capacités de production.
Côté ressources, pour les entreprises ayant maintenu une activité identique ou ayant subi des pics, la difficulté à trouver de la main d’œuvre a été renforcée par les évènements de la sphère privée, comme la fermeture des écoles obligeant les collaborateurs à garder leurs jeunes enfants. La peur de contracter le virus a aussi impacté le nombre de personnes prêtes à tenir des postes impliquant des contacts et, enfin, nombreux sont ceux et celles qui se sont trouvés dans l’incapacité de travailler pour cause de maladie ou d’auto-isolement. Dans cette crise, le facteur humain est, sans doute, le plus sensible à traiter.
Sur la partie aval de la Supply Chain, si le transport routier a su répondre présent à l’appel des clients encore en activité et subissant pour certains des pics liés au confinement (grande distribution, e-commerce), les modes de transport -aérien, maritime et ferroviaire- ont subi de fortes turbulences. Le confinement associé à l’arrêt des activités dans le monde entier a fortement et durablement impacté les capacités en aérien et en maritime.
Ce déséquilibre entre l’offre et la demande a entraîné des surcoûts pouvant aller jusqu’à 600 % en aérien pour les entreprises utilisatrices, les obligeant à remettre en question la rentabilité de certaines offres produits.
Aujourd’hui, le télétravail, la modification des politiques de déplacement des entreprises et la fermeture de certaines frontières dans ce contexte de risque de deuxième vague continuent à perturber le paysage du transport aérien et personne, à ce jour, ne peut prédire si et quand il y aura un retour à la normale.
Là encore, la question se pose de savoir si l’activité transport est correctement et efficacement connectée au reste de la Supply Chain, si elle pilotée et, le cas échant, de quelle façon. Le risque de pénurie de capacité est un risque qu’il faudra désormais gérer, et gérer ne veut pas dire ici supprimer mais apprivoiser.
Les impacts que nous avons évoqués ont tous un point commun : celui de mettre en avant l’importance du flux d’informations et des données.
La fiabilité des stocks, la difficulté à appréhender la demande client et les prévisions ont rendu encore plus difficile la gestion de la crise. Et pour certains secteurs, la demande sera toujours difficile à anticiper dans les mois à venir car les entreprises resteront dans une phase où la prévision des ventes sera peu fiable.
D’après le magazine LSA Commerce Connecté, “Aujourd’hui, l’enjeu principal consiste à se donner les moyens de renseigner l’utilisateur final avec rapidité et précision. Pour le dire autrement, il s’agit de faire bénéficier tous les acteurs de la chaine de valeur du meilleur niveau d’information possible, et aussi de faciliter la collaboration en “open book” : un principe de relation collaborative entre une entreprise et ses fournisseurs et partenaires, pour partager de façon transparente les informations stratégiques liées aux produits. Il est question de permettre une prise de décision éclairée et rapide, en adressant la bonne information, au bon moment, à la bonne personne, à tous les niveaux d’une organisation.”
La digitalisation apporte des réponses concrètes, mais c’est un sujet encore souvent peu appréhendé par les entreprises, abstrait, voire inaccessible.
Les motifs évoqués par l’enquête BPI France pour ne pas entamer de projet de digitalisation ne sont pas des freins majeurs, si on fait abstraction du manque de moyens financiers -et encore- cette vision « coûts » de la digitalisation est souvent faussée par le manque de connaissance du marché des outils et solutions disponibles.
Panorama des types d’outils couvrant la Supply Chain
APS : Advanced Planning System (ou logiciel -intégré ou non à un ERP- de support des processus de planification)
ERP : Enterprise Ressource Planning (ou progiciel de gestion intégré)
MES : Manufacturing Execution System (ou système logiciel de contrôle de production)
SCE : Supply Chain Execution (ou modules de gestion opérationnelle à très court terme de la Supply Chain)
AOM : Advanced Order Management (ou outil de gestion de commandes)
WMS : Warehouse Management System (ou outil de pilotage de production)
TMS : Transport Management System (ou outil de gestion de transport)
Devant le panel d’outils digitaux, dont le nombre n’a cessé d’augmenter sur le marché ces dernières années (pas moins de 200 recensés par Supply Chain Magazine en 2019), grand nombre d’entreprises ne savent lequel choisir.
Sur ce marché, très dense, un travail préalable d’investigation est une clé pour identifier les bons outils, budgétiser une enveloppe réelle et initier une démarche orientée terrain pour laquelle l’adhésion des collaborateurs sera optimale.
L’intervention d’un expert apportera une vision exhaustive du marché, précisant la couverture fonctionnelle des différents outils par rapport au besoin et à l’organisation Supply Chain concernée.
« A chaque organisation les moyens adaptés, à chaque Supply Chain ses outils ».
Dans un projet de digitalisation, on intégrera les fournisseurs et partenaires stratégiques, les prévisions de vente, les approvisionnements, la production, la gestion de stock, les expéditions, le transport amont et la distribution aval, ainsi que la gestion des réclamations.
Au-delà d’une vision globale, encore trop rare, la digitalisation des outils et des processus permet de piloter l’activité et d’avoir une visibilité précieuse. Elle place le client au centre de la Supply Chain, concourant ainsi au développement et à la compétitivité de l’entreprise étendue.
Difficile de ne pas en être persuadé, tant le bien-fondé de la démarche semble évident. Pourtant son apparente complexité peut freiner les plus convaincus.
Le message est donc clair : la digitalisation ne doit pas être considérée comme un package complet. Ce n’est pas « tout ou rien » ; elle peut être initiée de manière progressive et structurée, en fonction des besoins et priorités de chaque organisation.
En 2019, l’association France Supply Chain (ex-ASLOG) a publié un panorama de la digitalisation des Supply Chain dans lequel :
La crise peut-elle donc être un catalyseur des projets de transformation digitale ? Très certainement, car elle remet en perspective les paradigmes actuels et c’est sans compter sur les projets autour de l’Intelligence Artificielle (IA), de plus en plus présents en toile de fond dans l’écosystème de la Supply Chain.
Associer la performance économique et environnementale ne doit plus être une option mais un mantra. Là aussi, le chantier semble dense et technique. La question ne se pose pas tant sur l’engagement dans une telle réflexion, mais surtout au niveau de ses modalités.
Pour répondre à cette question, il faut appréhender la notion de Green Supply Chain qui a pour objectif de minimiser l’empreinte écologique d’un produit tout au long de son cycle de vie. On parlera donc d’éco-conception :
L’analyse de l’impact environnemental d’un produit est multicritère et comporte plusieurs catégories d’impacts rassemblés dans la Norme ISO 14062. C’est donc toute l’entreprise qui est concernée.
On pourrait résumer la démarche par un ensemble de mesures permettant de mettre en œuvre une politique d’amélioration.
Nous n’aborderons pas dans le détail tous les critères à prendre en compte dans l’environnement du produit, tant le sujet est vaste. Mais, comme pour la digitalisation, il n’est pas question de mettre en œuvre l’ensemble des chantiers pour obtenir le graal de la certification, mais bien d’initier une démarche durable de manière progressive et vertueuse.
A court terme, la mesure des émissions de gaz à effet de serre (GES) du maillon transport est un axe de travail concret à déployer.
La France s’est engagée à réduire de 30 % ses émissions GES d’ici 2030, en parallèle de la neutralité carbone en 2050. Véritable enjeu environnemental, les programmes et outils de mesures se sont très largement développés ces dernières années. Là aussi, le choix de la démarche peut être guidé par une ressource externe et experte. Au-delà des outils de mesure, l’optimisation des plans de transport et de distribution est aussi à l’origine de gains écologiques rarement mesurés.
Mesurer pour améliorer, c’est aussi une manière d’anticiper les contraintes légales à venir plutôt que de les subir, sans compter que les enjeux d’omnicanalité, de logistique du dernier kilomètre et de relocalisation sont favorables à la mise en œuvre d’une telle démarche.
Toutes ces réflexions démontrent que, si la Supply Chain est stratégique, elle doit être décloisonnée et connectée au reste de l’entreprise et à son écosystème pour apporter sa contribution à la performance globale, en termes de coûts et de responsabilité environnementale, mais aussi sa contribution à l’expérience client.
Si personne ne pouvait anticiper une telle crise, la gestion des risques et la transformation digitale et environnementale peuvent être des projets structurants pour une Supply Chain résiliente. La logique économique de demain doit et peut être associée à la logique environnementale.
Enfin, comme dans toute transformation, ce sont les hommes qui mettent en mouvement les organisations : conduire le changement est une condition intrinsèque de la réussite d’un projet.
Ludiwine PERRIER, experte en Supply Chain, et Sandrine PRETTO, experte en Achats/Transport, sont deux personnalités, dynamiques et complémentaires, animées par la même envie de partager une vision et une expertise de la Supply Chain et des Achats avec tous les hommes et les femmes qui composent les entreprises d’aujourd’hui. Fortes de nombreuses missions menées au sein de Directions Achats et Supply Chain, elles sont convaincues que l’humain est l’acteur principal qui portera le changement nécessaire à notre avenir. Au travers du cabinet LAPSS, Ludiwine et Sandrine mettent à profit 20 ans d’expérience dans le management de la Supply Chain au sein d’organisations multi-sites, en milieu industriel et logistique de distribution. Ludiwine imagine et met en mouvement les organisations, et fédère les collaborateurs autour de projets stratégiques Supply Chain. Sandrine, quant à elle, manage des projets transverses et construit les stratégies Achats et Transport, tout en accompagnant le changement auprès des équipes.