Aequitas-fides

PAROLES d'EXPERT : 3 QUESTIONS A...

Interview exclusive AEQUITAS & FIDES (06/2020)

Roger Reynaud

Directeur Général, NSA Groupe Otis/UTC

« Sortie de crise : entre urgence, solidité et écoute, un défi pour les managers »

Imprévisible, totale, voire catastrophique… On a tout dit sur la crise qui secoue l’économie mondiale. Mais pour inédite et sidérante qu’elle nous paraisse, cette crise n’est ni la première, ni la dernière que nous vivrons.

Pour l’affronter, les leçons apprises des crises précédentes s’avèrent plus qu’utiles : elles deviennent salvatrices. Ce sont ces enseignements et cette expérience qui permettent aux dirigeants d’entreprise de retrouver leurs repères et de donner à leurs équipes ce dont elles ont le plus besoin dans ce type de situation : de la confiance. Trois étapes me semblent essentielles dans ce contexte.

1/ Prioriser, mais comment ?

La crise résulte souvent d’une série d’événements : une activité s’arrête, puis un investisseur fait défaut, puis un client suspend ses commandes, etc. Une fois la situation globalement stabilisée, il s’agit alors pour le dirigeant et ses équipes d’établir ensemble un état des lieux : quelles activités peuvent repartir, avec quelles ressources, lesquelles laisser de côté, lesquelles transformer ? Ces constats, et les décisions qu’ils entraîneront, devront être expliqués de manière objective et transparente à l’ensemble du personnel. Même dans l’urgence, il est essentiel de s’assurer que les messages soient bien compris et partagés par tous. Le temps passé à expliquer et partager ces constats déterminera l’adhésion future des équipes et leur mobilisation.

Une fois cette étape franchie, il s’agit de prioriser toutes les actions permettant d’obtenir un impact à court terme sur les résultats opérationnels et financiers. Ce sont ces actions, aux résultats rapides et visibles, qui permettront de renforcer la confiance des collaborateurs, mais aussi des clients et partenaires de l’entreprise.

Par exemple, voici quelques années, j’ai eu à redresser la situation financière d’une PME. Bien des choses étaient à transformer, mais l’une d’elles pouvait l’être très rapidement, avec un impact financier immédiat : le recouvrement des créances. Une action forte, auprès des collaborateurs et de certains clients, a permis d’améliorer, rapidement et notablement, le recouvrement et la situation de la trésorerie. Ce premier succès a donné confiance aux équipes sur leur capacité à impacter les évènements, et a facilité la transformation en profondeur de cette PME.

Autre priorité de cette période : la communication. A ce stade, elle ne doit émaner que du dirigeant, et consister en messages simples, clairs, et cohérents. Qu’il s’adresse à ses équipes, ses clients ou ses partenaires, il doit délivrer une même parole, montrant qu’il est à la barre et applique la solution définie après la phase d’état des lieux. Autour de lui, son équipe doit démontrer son alignement avec sa vision : trop de sorties de crises sont ralenties du fait de querelles d’egos, au sein d’équipes dirigeantes, qui n’ont pas leur place dans de tels moments. Il appartient au dirigeant de les régler rapidement.

Cette communication doit aussi se traduire par une forte présence terrain du dirigeant : au cours de l’une de mes expériences précédentes, j’ai pu faire l’erreur de passer trop de temps dans mon bureau, à essayer de tout prévoir. J’ai vite compris qu’il fallait, au contraire, maintenir ma visibilité auprès de l’ensemble de mes équipes. Ce n’est qu’alors qu’elles se sont mobilisées pour relayer et appliquer les stratégies de redressement. Quant à la communication avec les partenaires indispensables (banque, IRP, services de l’Etat, fournisseurs), elle doit, elle aussi, rester active, mais le dirigeant doit, si possible, la déléguer.

Une fois l’essentiel assuré et les premières mesures prises, il est temps de bâtir une feuille de route pour les mois à venir.

2/ Comment passer de l’urgence à la structuration et à l’ajustement permanent ?

Une crise, quelle que soit sa nature, constitue une formidable opportunité de remise en cause : elle met en lumière les forces et les faiblesses de l’entreprise et donne l’occasion de réfléchir aux fondamentaux de son activité.

Aussi, je propose, pour bâtir une feuille de route de sortie de crise, le recours à un bon vieux SWOT (Strenghs, Weaknesses, Opportunities, Threats), plus précisément, un SWOT de crise.

D’abord, parce qu’il s’agit d’un excellent outil pour fédérer l’équipe dirigeante : cette analyse collective de la situation va permettre, ensuite, de s’accorder autour des décisions stratégiques. Mais aussi parce que le SWOT permet de focaliser l’attention des décideurs, non seulement sur les forces et faiblesses de l’entreprise, mais également sur les autres risques à venir et opportunités que peut fournir la crise. Ainsi, voici quelques années, une crise sectorielle m’a permis de réaliser plusieurs fusions/acquisitions de sociétés concurrentes et également d’attirer de nouveaux talents. J’ai ainsi pu développer le P&L (Profit & Loss) de ma BU (Business Unit) grâce à de nouvelles implantations géographiques et à l’acquisition de nouvelles compétences.

Une fois le SWOT de crise réalisé, il convient d’établir une feuille de route des actions à mettre en place chronologiquement, et l’organisation qui va implémenter ces décisions.

Cette organisation doit être totalement dédiée à la sortie de crise, avec une répartition des rôles et responsabilités parmi les différentes strates du management. Elle devra favoriser le feed-back des équipes terrain, intégrer le contrôle de l’application et du phasage des actions et, surtout, communiquer de manière claire sur les actions à venir. A ce stade, ce n’est plus seulement le dirigeant qui doit se trouver sur le terrain, mais l’ensemble des managers.

Mon expérience dans le secteur de la construction, activité régulièrement impactée par les crises, m’a beaucoup appris sur l’intérêt de la présence des managers sur le terrain durant ces périodes. Cette proximité a permis, très vite, de valider ou d’ajuster les décisions, mais aussi d’identifier de bonnes pratiques développées par les différents centres de profit.

Pour les managers, il s’agit d’une épreuve du feu. Confrontés à des prises de décision parfois très difficiles, ils vont révéler -ou pas- leurs aptitudes face à une situation à laquelle ils ne sont, en général, pas préparés. Au dirigeant de procéder, par la suite, aux ajustements managériaux nécessaires.

3/ Tourner la page de la crise, comme avant ou pas ?

Vient un moment où il faut tourner la page de la crise. Lorsque les chiffres commencent à s’améliorer et que la tendance semble solide, il importe de montrer la lumière au bout du tunnel, d’encourager et de mobiliser à nouveau les équipes sur de nouvelles perspectives.

C’est au dirigeant de prendre la parole pour acter cette étape, en choisissant avec soin son moment ; à lui et à sa Direction des Ressources Humaines de sentir quand l’annonce de ce nouvel élan doit avoir lieu, quand ses équipes en ont psychologiquement besoin.

Ce moment doit être l’occasion de parler du futur, de nouveaux développements pour l’entreprise, en s’appuyant, notamment, sur les leçons de la crise : quelles décisions ont été pertinentes, quelles initiatives ont émergé, quels processus ont fait, ou pas, la preuve de leur efficacité. A ce stade, on valide, on généralise les changements et on valorise les initiatives et la prise de décision.

Cette phase marque alors le passage d’un management de crise, directif et centralisé, à un management plus délégatif, responsabilisant et valorisant pour les managers de proximité et leurs équipes.

Le dirigeant retrouve sa dimension stratégique indispensable pour offrir une vision à moyen terme. Il redéfinit les axes stratégiques, l’organisation et les leviers pour soutenir sa vision et prémunir au mieux son entreprise d’une nouvelle crise.

Je me rappelle la réflexion d’un élu lors de la tenue d’un CE concernant justement les orientations stratégiques. Il avait attiré mon attention sur la nécessité d’insister sur les enseignements de la crise plus fortement : « Vous comprenez, nous avons besoin d’être rassurés et pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient !!! ». Juste, très juste, emporté dans le tourbillon de l’efficacité opérationnelle, j’avais sous-estimé le traumatisme de la crise sur les équipes.

Il est donc important d’insister sur les leviers permettant d’éviter les crises ou, tout au mieux, d’en modérer les impacts et leur intégration dans les projections à moyen terme.

L’adhésion des équipes à la nouvelle vision de l’entreprise ne se fera qu’à cette condition.

Ces leviers, s’ils sont évidents, ne sont pas pour autant naturels dans toutes les entreprises ; ils sont à façonner, à promouvoir par le management et notamment le dirigeant et la Direction des Ressources Humaines.

Ainsi la culture du changement, de l’amélioration continue, la faculté d’adaptation, l’innovation et la responsabilisation sont les moteurs d’une entreprise qui se veut pro active à la crise.

Toutes les actions mises en place doivent s’inscrire au quotidien dans cette démarche et dans le challenge du statu quo. Toutes les initiatives et les réussites quotidiennes, dans ce cadre, doivent être reconnues. Il conviendra de forger le caractère des équipes en ce sens avec une gestion fine des Ressources Humaines.

La crise actuelle, malgré son caractère exceptionnel, sa brutalité et ses drames, possède au moins un point commun avec celles qui l’ont précédée : elle recèle un potentiel de transformation et d’espoir. Au dirigeant d’impulser à ses équipes cette conviction, et de montrer en quoi le moment difficile que nous traversons tous peut devenir une formidable opportunité pour envisager différemment l’avenir.

Roger REYNAUD est Directeur Général de NSA (Nouvelle Société d’Ascenseurs) du Groupe OTIS/UTC au sein duquel il a mené toute sa carrière à des postes et dans des environnements très variés. Son expertise réside dans le management de P&L dans des activités de produits et services techniques. Ses prises de responsabilité croissantes l’ont amené à faire face à des enjeux majeurs, notamment des situations de crise et de transformation au cours desquelles il a redéfini les stratégies, les organisations et les rôles de chacun. Sa double culture PME/grands groupes lui donne une vision globale, pertinente et opérationnelle des enjeux de l’entreprise.