Aequitas-fides

PAROLES d'EXPERT : 3 QUESTIONS A...

Interview exclusive AEQUITAS & FIDES (06/2020)

Cyrille Mazal

Directeur supply chain après-vente, CNH industrial

« L’impact des projets Big Data pour la chaîne logistique : quelle véritable valeur ajoutée ? »

Les capacités de calcul Cloud ouvrent des possibilités inexploitées jusqu’à présent dans les domaines de la prévision de la demande, du management opérationnel et du S&OP.

En effet, les solutions Cloud, de type Microsoft Azure ou Amazon Web Services (AWS), ont mis à portée de tous la puissance de supercalculateurs. À titre d’exemple, les algorithmes de prévision de ventes, codés par l’équipe de Data Scientists que je dirige au sein de CNH Industrial, correspondaient à plus de douze heures de calcul sur un serveur dédié. En utilisant le Cloud, nous avons réduit cette durée à moins de trente minutes pour obtenir un résultat couvrant plus de 200 000 références. Avec cette capacité, l’optimisation des paramètres et l’évaluation de multiples scenarii sont désormais possibles en utilisant de larges périodes de baseline (cinq ans dans notre cas). Les calculs statistiques sont validés en estimant la précision (avec le MAPE – Mean Average Percentage Error, par exemple) sur les 6 derniers mois.

Le management opérationnel est également transformé avec la Data Science. En effet, les analyses prédictives permettent d’identifier les causes des ruptures, avec une précision statistiquement évaluée. Il devient alors possible de prévoir la probabilité de rupture, en intégrant une quantité importante de facteurs, qu’ils soient internes à l’entreprise (promotion, ruptures passées, retard de production, performance du fournisseur) ou exogènes (indicateurs de conjonctures, météo, etc.). Les actions à réaliser par les équipes peuvent requérir de coder afin d’optimiser la charge de travail et l’efficacité des actions. Chez CNH Industrial, ces algorithmes ont permis d’accroître l’efficacité des approvisionneurs et d’opérer une meilleure gestion des ressources par les managers.

Au-delà de l’Approvisionnement, ce sont tous les processus de la Supply Chain qui peuvent être optimisés selon un schéma similaire. Bien sûr,  cela adresse le slotting des produits en entrepôts, mais aussi le calcul prévisionnel des charges de travail des préparateurs, la probabilité d’erreur de picking par produit, et par employé, ou encore les actions à mettre en œuvre pour atteindre une performance d’expédition parfaite.

L’impact sur le processus S&OP est également important. En effet, l’évaluation statistique des paramètres internes & exogènes permet de construire un consensus basé sur des données factuelles. Les algorithmes évaluent de façon analytique la pertinence des propositions venant du Marketing ou de la Finance, en les corrélant avec l’ensemble des informations historiques. On peut alors construire différents scenarii, en calculant un pourcentage de confiance et en le rapprochant du bénéfice apporté.

1/ Comment les acteurs de l’industrie peuvent-ils intégrer ces progrès dans les processus Supply Chain ?

À titre d’exemple illustratif,  CNH Industrial a développé un projet Data Science qui s’articulait en 3 axes : la création et la gestion d’un datalake, le recrutement de talents spécifiques et la mise en oeuvre d’un management de projet Agile.

Le prérequis d’un projet Data Science est la création d’un datalake dans lequel l’organisation a confiance. Les données, et leur source, doivent être totalement fiables. Cette étape est critique et nécessite un investissement non négligeable sur le plan de la charge de travail. Outre l’extraction de données de l’ERP, il est nécessaire de les documenter et de les cartographier, ainsi que leurs interdépendances. Cela permet, non seulement, de mieux former les futurs Data Scientists, mais surtout de permettre à l’ensemble des fonctions utilisant les résultats de comprendre ce à quoi correspondent exactement les données extraites.

Ensuite, un nettoyage en profondeur est nécessaire. Ce nettoyage est un travail de validation détaillé sur des subsets de données.

Dès lors, la classification des données peut être réalisée – typiquement, on commencera par identifier les ventes exceptionnelles des ventes répétitives, bases de la prévision des ventes.

Mais avoir un datalake n’est évidemment pas suffisant si vous n’avez pas les pilotes pour conduire cette « Ferrari ». Recruter des Data Scientists est, en effet, primordial pour construire l’ossature de l’équipe pilotant ce projet. L’utilisation de consultants accélère le déploiement, en ajoutant temporairement des ressources additionnelles déjà formées. Cependant, une équipe permanente, avec de solides fondements, apportera de la stabilité et de la continuité aux différents programmes de développement. Leurs profils ne sont pas nécessairement orientés Supply Chain, même si cela facilite leur intégration. Les compétences en codage (Python, R) et en statistiques sont évidemment un must.

Une fois l’équipe et le datalake opérationnel, la mise en œuvre passera par une définition claire des objectifs à court et moyen termes. La méthodologie Agile est à privilégier. Elle permettra d’intégrer, à chaque étape, de plus en plus de facteurs et de fonctionnalités, tout en bénéficiant de retours sur investissement rapides. Chez CNH Industrial, le premier sprint fut focalisé sur l’optimisation des algorithmes statistiques. Les suivants ont mis l’accent sur l’intégration de paramètres supplémentaires (le parc machine lié à chaque produit, le type de machine, etc.).

2/ Quels sont les bénéfices que peuvent alors en retirer les organisations ?

L’amélioration du service et du S&OP, ainsi que la réduction des inventaires, sont incontestablement les premières réelles valeurs ajoutées d’un projet Data Science en Supply Chain.

Une meilleure disponibilité des produits est donc la première conséquence de la roadmap décrite précédemment. C’est aussi un élément qui permettra d’acquérir l’adhésion des Ventes & Marketing (bien plus que la réduction des inventaires !). Elle est la conséquence de l’amélioration significative des prévisions de vente, combinées avec une amélioration de la performance opérationnelle. Pour CNH Industrial, cela s’est traduit par des niveaux de services jamais atteints en période de moissons, au-delà de 98,5% sur un portefeuille de plus de 800 000 SKU.

Cette performance a été réalisée en rééquilibrant les inventaires, dans un premier temps, et en les réduisant, dans un second temps. L’appréciation statistique du risque de rupture permet de mieux gérer les produits dont la demande est plus volatile et le coût significatif.

Le processus de S&OP est également largement facilité par la Data Science. Les différents scenarii, avec leur niveau de probabilité associé, sont évalués face aux bénéfices apportés. Cela permet de dépassionner le débat et d’arriver à un consensus plus rapidement. La fonction de la Supply Chain en ressort valorisée au sein de l’entreprise. Elle peut ainsi devenir l’arbitre entre la Finance et les Ventes & Marketing lors des revues S&OP.

La Data Science révolutionne la Supply Chain. Ces technologies permettent, à la fois, d’augmenter la capacité et l’efficacité des équipes, mais également d’automatiser une proportion croissante des activités.

 

Cyrille MAZAL est Directeur Supply Chain Après-Vente au sein de CNH Industrial. Il gère l’approvisionnement des concessionnaires du groupe en pièces de rechange pour un volume supérieur à 1B$.  Il a occupé, au cours des 20 dernières années, différents postes à responsabilité couvrant l’ensemble de la Supply Chain,  principalement dans les marchés de l’automobile, de la construction et de l’agriculture. Au sein de prestataires logistiques (Caterpillar Logistics et Arvato Services) ou d’industriels (Emerson Motors, CNH Industrial), il a piloté des projets de sous-traitance et d’internalisation d’entrepôts ou de transport, de refonte des schémas directeurs amont et aval, et de Data Science appliquée à la Supply ChainCyrille MAZAL est diplômé d’un Master of Science in Engineering des Arts & Métiers ParisTech et certifié Lean 6 Sigma Black Belt.