PAROLES d'EXPERT : 3 QUESTIONS A...
Interview exclusive AEQUITAS & FIDES (06/2020)
Directeur général des opérations
L’année écoulée et les impacts de la pandémie mondiale dans nos vies quotidiennes ont mis en exergue, aux yeux de tous, ce qui était déjà en marche dans le secteur du Retail depuis plusieurs années. Convergence des technologies aidant, la notion même de point de vente a été remise en question. L’omnicanal est devenu la norme, y compris pour les plus fervents adeptes du magasin physique.
Ces transformations digitales, marketing et comportementales ne touchent, selon moi, pas uniquement les habitudes d’achat et de fidélisation à une marque. Le consommateur, très connecté, est également un collaborateur d’entreprise, tout aussi connecté. Parallèlement, nos habitudes de vie au travail, la pratique managériale, la logique de recrutement et nos relations humaines ont évolué, notamment du fait des transformations digitales qui sont tout autant sujet à une forme de bi-modalité ou d’omnicanalité. L’expérience collaborateur et l’expérience client ont une origine, des symptômes et une finalité communs.
Risque ou opportunité ? Penser l’omnicanal ou la transformation digitale uniquement comme un enjeu technologique et marketing est une erreur majeure. L’enjeu sous-jacent est, sans doute, d’être véritablement ouvert au changement, à l’écoute et à l’innovation. Dans son management interne comme dans sa gestion du business, l’entreprise doit être omnicanale dans son entièreté.
Et les enjeux à venir ne feront que renforcer cette tendance.
En matière de commerce et de marketing, l’omnicanal permet une expérience globale du client entre les différents points de contact et canaux de vente. Son objectif est de désiloter les canaux de vente et de les intégrer à un processus global.
Ce qui le distingue significativement du cross canal ou du multicanal, c’est l’interconnexion des canaux de distribution entre eux et avec le client. La nouveauté réside dans cette notion d’ubiquité ou de simultanéité.
Le multicanal définit l’expérience d’un utilisateur ou client qui a recours à plusieurs points de contact mis à disposition par une marque pendant son parcours d’achat (magasin, site web, mobile, service client, chat, etc.).
Le cross-canal, quant à lui, caractérise une expérience client où l’ensemble des canaux sont utilisés de manière complémentaire lors des différentes étapes du parcours.
Vous en conviendrez, la nuance entre cross-canal, multi-canal et omnicanal est assez fine.
En réalité, ce sont bien les technologies (du web, du digital, des réseaux sociaux, de l’intelligence artificielle, etc.) qui ont permis le basculement de l’un vers l’autre. L’omnicanal suppose de repenser chaque opportunité d’interaction de l’utilisateur avec la marque.
Le parcours client ou utilisateur est désormais hybride. Le consommateur peut rechercher des informations de la marque via son smartphone et internet (stock disponible, composition du produit, prix, etc.), puis dans un quasi même temps, se rendre dans le magasin pour voir, toucher et essayer le produit. Il pourra ensuite réaliser son acte d’achat via internet sur un site marchand multi-enseignes ou sur une des nombreuses marketplaces, pour finir par choisir d’être livré sur un lieu précis et dans un moment voulu. En parallèle de toutes ces étapes, les réseaux sociaux l’auront accompagné, guidé et, éventuellement, perdu.
L’omnicanal suppose donc une grande exigence dans l’information collectée et utilisée et il impose à l’entreprise de décloisonner tous les silos existants dans son système d’information et dans son organisation. Il est aujourd’hui dangereux de ne pas être en synchronisation quasi parfaite entre l’univers digital et la réalité physique (“phygital”).
Au-delà des enjeux technologiques pour l’entreprise, on comprend bien que la prouesse sera réalisable à la condition sine qua non d’adapter son organisation, son système d’information et sa culture d’entreprise commerciale et managériale. Si l’omnicanal permet une expérience globale du client, il implique une expérience entreprise au sens global du terme : le commerce et le marketing, bien entendu, comme pionniers, mais aussi la logistique, l’administratif et, encore et surtout, tous ses collaborateurs.
Adopter une posture marketing omnicanale implique pour l’entreprise d’être en même temps dans une attitude omnicanale stratégique et humaine.
Les nouvelles technologies ont permis l’émergence de nouvelles formes d’interactions entre les acteurs de l’entreprise. Le web et les réseaux sociaux influencent grandement les « digital natives » qui impulsent de la technologie dans toutes les activités.
De nos jours, l’entreprise idéale et efficace doit être transversale, connectée (grâce aux outils collaboratifs), flexible dans ses pratiques (avec le télétravail), et décontractée (à travers le team building). Les périodes de confinement de 2020 et 2021 ont enfoncé le clou de ce changement, déjà initié sur les années précédentes. L’expérience collaborateur, c’est-à-dire la perception et le ressenti d’un salarié dans le cadre de sa relation avec son employeur, s’appuie dorénavant sur ces nouveaux canaux de mode de travail. L’entreprise digitale et omnicanale est une entreprise qui se réinvente et qui est centrée, non seulement sur l’utilisateur ou le client, mais aussi sur ses collaborateurs : une organisation centrée sur l’humain.
Le parcours des collaborateurs est désormais hybride. Les règles de vie au travail sont perturbées et le dialogue social doit nécessairement s’adapter. La stratégie omnicanale engage l’entreprise à définir sa culture omnicanale dans toutes ses dimensions. La transformation digitale dans les pratiques professionnelles amène l’entreprise à adopter une culture omnicanale humaine et sociale. Son but est de décloisonner tous les silos existants dans les métiers, dans la gestion des compétences, les habitudes managériales ou encore le statut du manager au-dessus des collaborateurs de son équipe.
Une étude IBM de février 2016 démontre que les comportements au travail et les aspirations ne sont pas différentes entre les collaborateurs qui ont de l’ancienneté et ceux qui en ont moins. En fait, chaque génération vit avec son temps et dans son époque. Et aujourd’hui, face au travail, chacun cherche un peu la même chose, à savoir une mission épanouissante dans une bonne ambiance de travail.
L’épanouissement au travail a évolué pour tous. Connectés ou non, notre besoin est de nous inscrire dans le sens du travail que notre mission et notre entreprise nous donnent.
Les plus connectés veulent seulement plus d’autonomie de mouvements, d’expressions et un mode de relation décomplexé. Le phénomène, un peu trompeur, des startups est un révélateur de ce désir. Celles-ci attirent par leur modèle de vie au travail plus ouvert, clairement plus interactif et, en apparence, plus libre. Les grands groupes attirent moins parce qu’ils véhiculent malgré eux une image de rigidité de fonctionnement, de carcan social et d’antre de l’immobilisme.
En réalité et comme toujours, le management reste l’élément fondamental de la réussite de l’équipe et de l’épanouissement de chacun. Mais le manager n’est plus seul ! Les technologies l’accompagnent, l’assistent et le favorisent. Les équipes sont de plus en plus acteurs dans la définition et la réalisation de leurs missions. Le management dit “top-down” est obsolète et il est devenu de type “bottom-up“, avec encouragement des collaborateurs à soumettre des idées et des innovations. La proximité du management est un élément fondamental dans l’expérience collaborateur. Le manager n’est plus un surveillant mais un accompagnant qui donne les moyens à son équipe d’atteindre les objectifs et qui vulgarise la stratégie de l’entreprise pour donner du sens au travail.
De la même manière que client et point de vente sont interconnectés, il en est déjà de même entre salariés, managers et missions. PC portable, visioconférence, chat ou applications collaboratives (Trello, Slack, Monday, Teams, etc.) sont déjà dans le package de base du manager d’aujourd’hui.
L’entreprise se doit d’être focalisée sur le client, et plus particulièrement sur son besoin, dans le but de maximiser sa valeur financière à long terme dans l’entreprise. L’omnicanal est un des vecteurs de création de valeur.
L’omnicanalité des usages en matière d’achat, qu’ils concernent l’étape de la découverte, de la recherche ou de la prise de décision, a clairement donné le pouvoir aux consommateurs et les innovations technologiques leur simplifient la vie. Tout cela a grandement élargi le territoire d’expression des marques et accru les occasions de vendre.
D’un côté comme de l’autre de la chaîne de valeur, les opportunités de gains liées à l’omnicanalité sont bien réelles. Le développement du chiffre d’affaires (51 % selon le baromètre 2019 de Harris Interactive, EBG & Wide) par l’augmentation des points de contact entre le client, la marque et le produit (disponibilité 7/7 et 24/24, disponibilité du stock en temps réel et quel que soit le lieu de stockage, etc.), l’amélioration de la transformation des contacts ou leads (50 %), l’entrée dans un mouvement « Customer Centric » (47 %) et de fidélisation du client (35 %) par l’apport de technologies “machine” sont les profits immédiats d’une posture omnicanale.
Ces bénéfices sont clairement transposables au périmètre des relations humaines. Le concept de marque employeur le démontre d’ailleurs. Il n’est pas surprenant de constater que de plus en plus d’entreprises se focalisent sur cet axe marketing, conjointement à l’émergence des réseaux sociaux.
Attirer les potentiels les plus adaptés, n’est-il pas équivalent à vouloir attirer des nouveaux clients ? Disposer des justes compétences, former ses collaborateurs et développer les initiatives internes me semblent être du domaine de la recherche d’un chiffre d’affaires humain interne. Fidéliser ses équipes évite beaucoup de dépenses en recrutement, en intégration et en formation de nouvelles ressources humaines.
Dompter les technologies du moment et adapter sa logique de gestion humaine en devenant structurellement “omnicanal” sera décisif et stratégique pour l’entreprise.
En réalité, la seule réponse omnicanale et digitale n’est qu’un moyen pour répondre aux problématiques d’évolution des comportements, de l’expérience collaborateurs, des relations humaines et du business.
Sans posture et culture d’entreprise orientées vers le digital et l’omnicanal, rien n’est vraiment stratégique. Au-delà de la seule expérience client, la mise en œuvre d’une stratégie omnicanale globale d’entreprise est décisive.
L’émergence, ces dernières années, des différents canaux de vente et l’omnipotence des technologies dans nos vies quotidiennes favorisent la richesse de l’écoute active de tous (clients, collaborateurs, fournisseurs, etc.) ainsi que la remise en question régulière des habitudes et des modèles existants, l’ouverture d’esprit et la prise de risques.
Je ne ferai pas de science-fiction ou de prévision très poussée sur l’évolution possible de l’omnicanal. Je ne m’en sens pas légitime et je ne dispose pas de tous les signaux pour cela.
Être omnicanal aujourd’hui, c’est d’abord être digital et avoir branché tous les capteurs techniques, organisationnels et humains dans le but de répondre aux besoins des consommateurs.
C’est aussi (pré)sentir les ondes à signaux faibles. Les besoins et ressentis de quelques-uns aujourd’hui amorcent une tendance plus large pour demain. Les tendances évidentes, les paroles les plus répandues ou encore les bruits récurrents ne nous apprendront jamais plus que ce que tout le monde ne sait déjà. En rester à cela, c’est être suiveur. Pouvoir et savoir être omnicanal, et transformer cette richesse de données en valeur à long terme, c’est être visionnaire.
Pour 56 % des salariés interrogés, la transformation digitale représente une chance pour leur entreprise, rendant la plupart des tâches plus faciles. En 2020, plus de 90 % des entreprises ont réellement souhaité une transformation numérique majoritairement par souci d’organisation.
Pour toujours mieux répondre à la demande du client, la tendance est à l’accroissement de la personnalisation de l’expérience client (via des outils neuroscientifiques et des algorithmes intelligents). Points de vente et outils digitaux seront de plus en plus confondus. L’écologie, ou la conscience autour de l’épuisement des ressources, catalysera une bonne partie de l’évolution des canaux de vente et de nos modes de vie au travail : plus de proximité, plus de services minimisant l’impact carbone, sélection plus exigeante des produits en fonction de leur nuisance sur les ressources naturelles, etc.
Dans les relations au travail, j’aime imaginer qu’il en sera de même.
Les espaces et outils collaboratifs, ainsi que l’avènement de l’intelligence artificielle, vont libérer beaucoup d’espaces. Ce temps libéré sera converti en opportunité d’écoute, de tests, de créativité et d’échanges.
L’alternance du télétravail et du temps en présence améliorera la productivité des plus habiles en rentabilisant les temps perdus (trajets domicile/travail, inter-réunions, etc.), en favorisant la prise de recul et l’initiative pour aller chercher les informations ou la discussion, en rendant plus productives les réunions choisies en présentiel et en limitant le nombre de nos déplacements. Les collaborateurs d’une équipe seront encore plus moteurs dans la manière de faire, la réussite et l’orientation des objectifs.
L’humain reprendra le pouvoir dans son expérience professionnelle. Il sera de nouveau au cœur de la vie au travail en utilisant son énergie à créer, innover, penser, tester, échanger et décider.
La force d’une logique omnicanale est d’utiliser les technologies pour se focaliser sur l’essentiel : créer de la valeur et remettre l’humain au centre des choix et de la stratégie.
Stéphane POBLE a occupé pendant plus de 20 ans des postes de Direction dans le secteur du Retail (Alain Manoukian, Groupe Casino, Groupe La Poste) et connaît parfaitement les problématiques qui y sont liées et qui ont fortement évolué dans le temps, soulevées par des attentes consommateurs en permanente mutation. Diplômé d’une école de commerce, Stéphane débute sa carrière en contrôle de gestion puis occupe rapidement des postes à responsabilités dans les Directions Financière, Logistique, Supply Chain et Systèmes d’Information. Cette quadruple expertise (Stratégie, Finance, Transformation -méthodes et outils- et Capital Humain) est un fondement incontournable aux postes de Direction de Filiale ou de Business Unit.